Les bâtiments iconiques et la création de l’identité.
Voir aussi
Conférence autour de la réhabilitation architecturale
projection du documentaire «De terre et d’eau»
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Voyage pédagogique au Volubilis
La société est la raison d’être de l’architecture en général, et de l’architecture iconique en particulier. Elle en est le catalyseur et le juge qui l’accepte ou la rejette mais ne l’ignore jamais. Cependant, la relation entre une société et son architecture est une relation d’interaction
continue, car l’architecture aussi participe dans la définition de la société qui l’a créée.
Malgré le fait que l’iconicité et la banalité soit deux notions contradictoires, elles découlent toutes deux du regard qu’une société porte, à un moment donné, sur son paysage architectural. Celui-ci est construit selon des objectifs politiques, économiques ou culturels sans cesse renégociés entre les différents acteurs qui interviennent dans ce processus.
Le banal tout comme, l’iconique changent continuellement avec le changement des valeurs
d’une société. Les monuments nazis, par exemple, ayants survécu à la deuxième guerre mondiale ont tous été détruits, parce qu’ils contrastaient avec la nouvelle idéologie et les nouvelles valeurs de l’Allemagne de l’après-guerre. Leur image est devenue représentative d’un passé indésirable, alors que quelques décennies auparavant, elle représentait la promesse d’un avenir meilleur pour les allemands. Cela s’applique aussi, mais à un autre niveau, sur certaines œuvres de GAUDI, tel que la Casa Mila qui était surnommée la Pedrera littéralement la carrière, en signe de sa laideur ou du moins de son aspect inhabituel sortant de l’ordinaire. Son propriétaire a même, au début, refusé de payer l’architecte. Et pourtant, aujourd’hui, l’image de ce bâtiment iconique a changé. Il est devenu de nos jours une destination touristique prisée et un signe de la distinction de l’identité formelle et construite de la ville de Barcelone et de la région catalane dans la société espagnole.
Dans le contexte marocain, la médina était sans doute à l’époque précoloniale considérée comme ordinaire par ses habitants étant donné qu’elle était leur cadre de vie communautaire.
Mais son image vers la fin du protectorat et les premières décennies de l’Indépendance achangée. La majorité de ce qui composait son élite l’a déserté pour les nouvelles villes, synonyme pour eux de la contemporanéité occidentale, adoptée par la nouvelle bourgeoisie comme mode de vie. La médina a été abandonnée perdant ainsi son image communautaire et inspirant désormais l’insécurité et le chaos urbain. Elle est aujourd’hui titulaire d’une centralité morte comme l’aurait décrit l’architecte LEDRUT[i], et représente un modèle de construction, et peut être de civilisation, révolu, mais elle reste néanmoins porteuse d’une identité architecturale et urbaine forte, emblématique et stimulant la nostalgie, qui contraste avec l’environnement extramuros des villes contemporaines devenu maintenant à son tour banal. Cela lui vaut l’intérêt grandissant que les autorités commencent à lui accorder en vue de la rentabilisé en lui restituant une part de son importance passée. Car même dans les pays qui ont enfanté le modernisme et la mondialisation, on commence à se rendre compte de l’importance de l’héritage architectural dans la construction et la valorisation du présent et du futur. Mais ce regain d’intérêt pour le passé n’est pas animé par une envie de renouement avec les valeurs qualitatives entendu dans le sens profond, mais plutôt par le souci de le rentabilisé économiquement parlant. Limiter l’intérêt que l’on porte aux tissus traditionnels au côté économique pourrait fausser la lecture de cet espace et faire tomber dans une perception folklorique et traditionnalesque[ii].
Cette perception nous la trouvons notamment dans l’architecture des casinos de Las Vegas, aux
états unis, où l’on remarque une compétition de ces établissements pour attirer le plus de
clients à travers la copie des images de bâtiments iconiques de civilisations vues exotiques comme par exemple les pyramides égyptiennes, la tour Effel etc.
L’iconicité et la banalité d’une architecture dépendent entièrement du jugement de la société. Mais, ce procès peut être influencé par les médias qui servent parfois d’avocat, parfois
de bourreau ; et dans les deux cas, cela Joue en faveur du bâtiment, selon JENCKS « les insultes
sont parfois des bienvenues tumultueux, la controverse est un effet désiré car il fait vendre
le bâtiment, c’est de la publicité »[iii]
On pourrait observer le jugement de la société sur une architecture, qui cette fois lui est étrangère, par exemple, dans les réflexions actuelles sur l’implantation des mosquées en Europe, nécessaires au vu du nombre de pratiquants musulmans européens. Les projets ont du mal à aboutir pour des raisons symboliques ;mais la recherche des architectes sur ces formes est tout à fait intéressante. Avec un tel programme, les modes d’utilisation de l’espaces ont forcément issus de la culture musulmane, et la formalisation qu’en font les architectes contemporains qui se penchent sur la question se fait avec les possibilités et les aspirations du XXIe siècle, dans le respect obligé de cette fonctionnalité.
Il y a, de plus, un intérêt pour les éléments symboliques et décoratifs propres à la religion musulmane : les couleurs, les principes d’ornementation, les formes. Il paraît évident, que dans la réalisation d’un édifice religieux, les pratiques religieuses et les espaces qu’elles nécessitent ne peuvent être tronqués ou déconsidérés, même par une culture extérieure qui cherche à l’intégrer à ses villes et à l’adapter à sa propre identité construite. Cependant, la cristallisation des peurs autour de la symbolique des minarets, qui a produit le vote suisse interdisant la construction de ceux-ci, va probablement conduire à une nouvelle forme pour les mosquées européennes. Le métissage est, ici, un fait et une fatalité ; ce qui aurait été très différent si, comme dans le passé, laréalisation de ces bâtiments religieux se faisait conjointement à une conquête territoriale et donc une position dominante.
Le contre-exemple de cela réside dans l’histoire d’Alexandre le grand et de son architecte
DINOCRATE qui ont construit ensemble soixante-dix villes sur le modèle grecque durant la conquête du roi macédonien de l’empire perse, toutes appelées Alexandrie.
Si un bâtiment iconique a le pouvoir de symboliser une identité et de la cristalliser, une ville peut surement en faire autant. A long terme ces Alexandries ont probablement fini par être acceptées par les populations indigènes, mais dans leur forme la plus authentique, elles continueront de représenter un mode de construction étranger, symbole d’une autre culture et de la conquête subit par une autre civilisation avec ses conséquences heureuses et malheureuses. D’ailleurs L’histoire nous apprend que ces villes construites par Alexandre ont servies de points de diffusion de la culture hellénistique, ce qui témoigne de la puissance de l’architecture et de l’urbanisme dans la reprogrammation culturelle et idéologique a grande échelle.
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[i]Raymond LEDRUT, « Les images de la ville », Anthropos.Paris, 1973
[ii]« Ce qui est généralement produit et qui continuera à être produit dans une société de consommation, ce n’est pas le bâtiment traditionnel, mais le traditionnalesque. Un pastiche du passé, c’est ce que la société recherche et ce queses designers mercantilistes produisent ». Charles JENCKSet William CHAITKIN, « Architecture today », 1982.
[iii]Charles JENCKS « The iconic building: the power of enigma ». Frances LINCOLN, London, 2005. p : 9